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Le fleuve sans fin (9/15)

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Phalenopsius's avatar
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Alors que le soleil automnal disparaissait derrière l'horizon, Drielle cherchait un endroit où installer son campement pour la nuit. Elle en avait aperçu plusieurs qui auraient pu convenir si elle ne s'était pas montrée si difficile. Elle avait, au cours des saisons passées, dormi dans des endroits bien pires, mais cette portion du fleuve lui rappelait son enfance, en plus sauvage. Cette courbe que le lit du cours d'eau décrivait, cet amoncellement de rochers, cet arbre plusieurs fois centenaire dont les racines trempaient dans l'eau. Si son intuition se révélait juste, il y aurait, à quelques pas de là, derrière ce promontoire... Des cris et des rires interrompirent ses pensées. Sans même s'en rendre compte, elle se jeta à plat ventre et, délaissant ses affaires, s'approcha en rampant, silencieusement, afin de découvrir qui avait élu domicile dans la crique.
A deux pas de la plage de sable fin, des chevaux broutaient la bonne herbe au pâturage. Un jeune homme, musclé, en culotte de lin, les cheveux noirs comme la nuit, étendait tranquillement des vêtements sur les fils tendus entre deux tentes montées à la va-vite. Quelques poissons rôtissaient sur un feu allumé à proximité de l'eau, et dans laquelle barbotait un homme aux cheveux si blonds qu'ils paraissaient presque blancs. Les yeux écarquillées, Drielle vit le blondinet plonger ses deux mains dans l'eau et en ressortir un gros poisson. Il éclata de rire, héla son compagnon, puis lui jeta sa prise. Le brun, dégainant un coutelas avec une rapidité incroyable, le transperça en vol, le vida et l'accrocha avec les autres poissons en train de cuire. La jeune femme hésitait à se joindre à eux, quand, surgis d'au-delà des vertes pâtures, dix ou douze cavaliers, sabres au clair, chargèrent le petit campement.
Le brun se saisit de deux épées, en lança une à son compagnon et attendit que le premier cheval arrive à sa hauteur. Il esquiva le coup porté et répliqua d'une attaque qui désarçonna son agresseur. Il prit à peine le temps de l'occire avant de reprendre le combat. De son côté, le blond, se portant au secours de son ami, s'élança vers un rocher, s'en servit comme d'un tremplin et atterrit sur l'un des cavaliers, le faisant tomber à terre. Il réussit cependant, avec une dextérité époustouflante, à rester sur le dos de l'animal qu'il talonna afin de se porter à la rencontre des autres, les chargeant, non comme s'il avait été seul contre une demi-douzaine, mais comme s'il menait une armée à la bataille.
Drielle observait la scène du haut de son promontoire, quand deux cavaliers s'approchèrent. Elle se jeta sur eux, décidant arbitrairement de porter secours à ceux qui avaient été agressés. Elle emporta les deux dans sa chute et se releva dans le même geste. Elle n'eut que le temps de lever son épée pour se protéger d'un coup venant d'un autre cavalier, destiné à la tuer, avant que ses adversaires ne se reprennent. Mettant à profit les leçons de son père, elle s'en débarrassa facilement. Même s'ils étaient plus nombreux, ils se révélaient nettement moins adroits qu'elle à l'épée.
Un seul d'entre eux se révéla être coriace. Il excellait dans l'art du combat et elle ne put éviter d'être touchée à trois reprises. Ces blessures n'étaient que superficielles, mais chacun de ses coups aurait pu être mortel. Alors elle joua le tout pour le tout. Elle se fendit, feintant un coup au cœur. Tandis que son adversaire amorçait sa parade, d'un mouvement de poignet elle fit passer l'arme dans sa main gauche, lancée en avant. Ses doigts se refermèrent sur la poignée de l'épée et elle plongea le fil dans le ventre découvert par la parade inutile. Quand elle retira sa lame du corps de son adversaire, son âme suivit le même chemin. Elle remercia silencieusement son père qui venait de lui sauver la vie par ses enseignements.

Le dernier agresseur en fuite, le blond avança, la lame en avant, vers Drielle. Celle-ci, méfiante, se mit en garde. Avec un sourire narquois, il fit une révérence qui n'avait pas sa place sur un champ de bataille.
– Ma dame, nous vous remercions. Sans vous, ces scélérats nous auraient donné quelque fil à retordre. Avec vous, ils n'avaient aucune chance. Qui que vous soyez, nous vous invitons à partager notre repas.
Elle se retrouva ainsi à dévorer un poisson légèrement trop grillé. La faute à ces bandits, avait fait remarqué le brun, qui fuyait le regard de la jeune femme. Celle-ci était trop occupée à admirer ce même homme, pour qui elle ressentait une attirance quasi-surnaturelle, pour se soucier de la cuisson du repas. Le blondinet, amusé du coup de foudre réciproque de son ami et de cette jeune inconnue, faisait la conversation à lui tout seul. Quand il lui demanda qui lui avait appris à se battre, elle répondit, sans y penser, que c'était son père, et que c'était son épée qu'elle maniait. Il insista pour pouvoir l'examiner de plus près, ce à quoi elle consentit sans rechigner. Il s'extasia devant l'équilibre de l'arme, la finesse de l'acier et la beauté de l'ensemble.
Drielle essaya de s'intéresser à eux, à leur histoire, mais ils semblaient peu enclin à parler d'eux, tout comme elle. Aussi le blondinet finit-il par aller se coucher, leur souhaitant une bonne nuit, un large sourire aux lèvres. Restés seuls, Drielle et le séduisant jeune homme à la chevelure noire ne surent que faire. Un silence gêné s'installa, jusqu'à ce qu'il le brise, d'une voix timide, en lui demandant si elle accepterait de lui enseigner la botte qu'elle avait utilisé plus tôt. La jeune fille acquiesça. Elle fut troublée comme jamais quand leurs deux corps entrèrent en contact, alors qu'elle corrigeait sa posture. De fil en aiguille...

Le soleil, à son lever, contrairement à son habitude, trouva Drielle en train de marcher. Pour la première fois depuis très longtemps, elle n'assista pas à l'explosion de lumière qu'elle aimait tant. Son corps et son âme avaient, au cours de cette dernière nuit, été exposés à des explosions bien différentes. Les larmes aux yeux, elle s'était enfuie discrètement, préférant poursuivre sa quête plutôt que de courir le risque de rester avec eux. Malgré son attirance  pour le brun, dont elle ne connaissait pas même le nom, il était évident que les destins des deux hommes étaient liés. Il n'aurait pu se résoudre à abandonner son compagnon, à qui il semblait vouer une admiration hors-norme, pour la suivre. Et si elle les avait suivis, la prisonnière du château le serait restée éternellement.
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